22 avril, 2005

Céline 6-

La longue silhouette de monsieur Le Gwarder apparu dans l’embrasure de la porte. Immédiatement le silence se répandit sur la salle comme une traînée de poudre. Il n’avait pas dit un mot, juste un petit sourire narquois à la commissure des lèvres.
Maître Gwarder, comme tout le monde l’appelait respectueusement au sein du conservatoire, était le très renommé directeur de l’établissement. Il avait exercé par le passé une prestigieuse carrière de chef d’orchestre, parcourant inlassablement le monde et ses salles de concert. Il était tout de noir vêtu avec une longue veste de toile, une cravate « lavallière » et un large couvre-chef en feutre anthracite. Il portait souvent sa main droite au revers de sa veste où était dissimulée en permanence sa longue baguette. On dit qu’il ne s’en séparait jamais.
Madame Valhoir, le visage en feu se relevait maladroitement pendant que le concierge bafouillait des mots incompréhensibles en faisant des ridicules courbettes. Le visage du maître parcouru lentement toute la classe, les élèves reprenant un à un leur place et leur instrument dans un silence tellement pesant qu’on aurait pu entendre réfléchir un homme politique. Céline suivait ses yeux du regard. Quand ceux-ci rencontrèrent son visage, elle crut distinguer un petit éclair dans les yeux pâles du directeur et son sourire s’accentuer imperceptiblement. Une très légère vibration traversa sa nuque comme un éclair. Elle sursauta. Déjà le regard avait glissé vers son voisin. Thomas à son tour sursauta. Il se retourna légèrement vers Céline, les yeux écarquillés, pleins de questions. Céline haussa légèrement les épaules, comme pour dire « plus tard ! »
« Mesdemoiselles, messieurs, il me semble que l’exercice n’était pas tout à fait fini. Voyons, pendant que je suis là, si nous pouvons exécuter ensemble notre morceau préféré. Page 10, je vous prie », et il sortit sa baguette. Un frisson parcouru l’assemblée. On dit que sa baguette est magique. On dit que certaines nuits, au solstice d’été, à la Saint Jean, au cœur d’une forêt profonde d’Armorique, il fait chanter tous les oiseaux, les arbres et les fleurs, le vent et les ruisseaux. La musique est si belle, le chœur est si pur que l’on peu voir monter vers les étoiles une brume scintillante de mille diamants et qu’alors tous les participants vibrent à l’unisson, flottant légèrement au-dessus du sol comme portés par une incommensurable joie.
Ses mains battaient la mesure avec élégance. Elles étaient si belles, longues et fines, très finement ridées, que Michel-Ange lui-même aurait parcouru le monde pour pouvoir les peindre. Le morceau fut impeccablement joué, les enfants avaient le visage radieux et pour un peu auraient applaudi. Pourtant ils restèrent immobiles, les archets figés, laissant filer les dernières notes. Ce n’est pas qu’ils aient peur du maestro, il n’avait jamais vraiment réprimandé personne, mais son charisme était tel qu’en sa présence, nul ne songeait à faire le moindre désordre.
« Merci mes enfants, je crois que votre professeur doit vous communiquer une nouvelle importante. »
Madame Valhoir repris sa place sur son estrade et s’éclairci la gorge, le visage grave, comme si elle avait un discours dramatique à prononcer. Mais elle ne tint pas longtemps. Un large sourire se dessina sur son visage d’ordinaire plutôt sévère.
« la chorale des Petits Chanteurs de Saint Marc, c’est à dire les Choristes vont venir faire un concert au Grand Théâtre et les sections d’étude du conservatoire ont été choisies pour les accompagnées »
un HOURA retentissant jaillit de toutes les gorges enfantines, suivi d’applaudissements
« Madame, Jean Baptiste, le soliste, sera-là ? » Elle n’avait pas pu s’en empêcher, la phrase était partie toute seule de la bouche de Céline
Madame Valhoir se retourna vers le directeur qui confirma sa venue par un simple clignement des yeux. Le sourire malicieux n’avait pas quitté ses lèvres… peut-être un peu plus accentué.

Céline - 5

Céline 5 -
Céline avait deviné juste pour les morceaux à apprendre. Le professeur avait distribué à chacun ses morceaux à travailler pour cette année – tout le monde avait eu droit à un bout de suite de Bach et à l'allegro appassionato de Brahms. Elle était à présent en train de discuter avec un nouvel élève qui venait d’arriver cette année. Elle ne savait pas pourquoi mais Céline avait tout de suite ressentie une sorte d’aversion pour ce grand jeune homme, Arnaud, qui venait de Paris, semblait fort riche et imbu de sa personne. Pourtant il était souriant et, en quelques minutes, il avait déjà réussi l’exploit de rassembler autour de lui une petite cour de fidèles. Pendant que madame Valhoir testait Arnaud - il semblait avoir un beau coup d’archet, quoiqu’un peu froid - Céline et Thomas évoquaient leur étrange aventure
« Thomas, tu sais ce qui c’est passé ? , Ça ne ressemblait pas à une décharge électrique comme on en a parfois en descendant de voiture. T’as déjà eu ça toi ? »
« non jamais, en même temps c’était pas très heu…désagréable »
Céline ne releva pas le dernier point qui, dépité, tomba dans l’oubli.
« Moi c’est la deuxième fois. La première c’était ce matin en embrassant mon père. Il a eu l’air étonné, comment on dit ? voilà c’est ça, interloqué, prêt à me dire quelque chose, puis il s’est ravisé, m’a fait un grand sourire et m’a sorti une phrase dans le genre « y’a pourtant pas d’électricité dans l’air » et s’est éloigné en se frottant la joue »
ils continuaient à chuchoter tout en s’installant à leur place
« Les enfants. , page 4…, les premières gammes…, exercice d’assouplissement…, tous ensemble…deeeeeeux, un »
L’exercice avait été mille fois répété, aussi les deux amis n’y faisaient pas trop attention et continuaient leur palabre. Ce n’était pas du tout du goût des gammes qui n’aimaient pas cette coupable négligence et en profitèrent pour lâcher les notes un peu partout dans la salle. Le ré tomba sur le do en poussant un cri de douleur et tous les deux tombèrent sur le sol dans un grand tintamarre entraînant la révolution de toutes les notes voisines. Madame Valhoir, perchée sur sa petite estrade, l’air furieux, cria, la bouché pincée
« Ça suffit ! , c’est n’importe quoi. Quelle opinion doit avoir de vous notre nouvel arrivant. ! Céline et Thomas, surveillez la mesure. On recommence »
Arnaud c’était retourné vers eux avec un petit sourire de compassion qui mis à rude épreuve le calme de Céline qui lui renvoya une grimace moqueuse et pas vraiment aimable.
Thomas, quant à lui était plutôt fébrile et pour mieux se concentrer s’était assis à l’extrême bord de sa chaise. Ce qui devait arriver arriva : BADABOUMMM !!! Emporté par son archet il s’étala de tout son long entraînant dans sa chute ses deux voisins de devant dans le vacarme assourdissant des violoncelles heurtant le sol. Surprises Céline et Natacha firent une drôle de manœuvre avec leur archet coincé dans les cordes si bien que telles des amazones elles réussirent l’exploit d’envoyer leur deux ‘flèches’ dans la maigre poitrine du professeur. Surprise à son tout, elle poussa un hurlement de terreur en basculant cul par-dessus tête en bas de la pauvre estrade. Le désordre était à son comble quand le concierge ouvrir la porte si brutalement qu’il faillit bien achever la malheureuse madame Valhoir qui tentait en vain de soustraire au regard de ses élèves les charmes tout relatifs de ses affriolants dessous. Il cria à son tour demandant s’il y avait des blessés tout en essayant vainement de relever le professeur en péril. Le résultat fut catastrophique et madame Valhoir rechuta sur le ventre. Les élèves étaient secoués d’un fou rire hystérique que rien ne semblait pouvoir arrêter quand soudain…

à suivre...

La saga des enfants chanteurs - RHEUHATHIK -4

4 ième épisode

Le jeune impétrant sentait tous ses organes se transformer en pierre. Il ferma les yeux de toutes ses forces, les poumons bloqués. Le choc, soudain, brutal d’une violence inimaginable, la terre qui tremble, le craquement sinistre du gigantesque fauve contre le tronc qui vibre et résonne sourdement transmettant l’onde mortelle au corps ruisselant de sueur de l’enfant apeuré. Enfin le silence, total, surnaturel, contre nature. Les feuilles, les fleurs, les buissons, l’écureuil, chacun retient son souffle. Et puis soudain une explosion de joie, incontrôlée, irraisonnée, les oiseaux en piqué chantaient aux fleurs, les pétales largement ouvertes, la joie de la liberté revenue, la joie de gazouiller sans crainte, la joie de… la joie tout simplement !. Un croc s’était brisé. L’enfant le pris dans ses mains, le levant au ciel dans une sorte d’hommage. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Le premier sourire de l’humanité. Le sourire s’accentua, sa poitrine se gonfla. Trop d’émotion était retenu. Le chant sorti doucement de sa gorge. Assourdi pour commencer, comme hésitant. Puis il pris de l’assurance, la mélodie s’organisa faisant concurrence aux oiseaux stupéfaits d’entendre un chant si merveilleux d’une beauté encore jamais entendu. Un arbre, plus sensible que ses confrères se mis à pleurer. C’était un saule. Le chant avait la pureté du diamant le plus précieux. Ses reflets se répandirent sur toute la terre.
Ce satané gamin venait de découvrir l’émotion, le premier sentiment était né, prémisse de l’amour

à suivre ...

La saga des enfants chanteurs - RHEUHATHIK -3

Le sol commençait à trembler autour de lui pendant que les hurlements de l’animal déchaîné raisonnait douloureusement dans sa poitrine oppressée. Il sentait plus qu’il ne voyait les branches se coucher devant l’effarant cataclysme que s’avançait vers lui au rythme d’un lourd galop. L’abominable animal entra brusquement dans son champ de vision précédé d’une abominable odeur putride, du souffle terrifiant jaillissant de sa gueule grande ouverte et de l’éclat ahurissant de son pelage fauve jurant avec la beauté tranquille de monde végétal qui assistait indifférent à l’inévitable tragédie qui allait une fois encore se dérouler sur un tapis d’herbe tendre parsemé de petites fleurs multicolores. Le soleil implacable renvoyait sur l’enfant toujours immobile deux implacables rayons lumineux, froids comme la mort, reflétés par les deux monstrueux crocs, plus longs que les bras douloureusement crispés de l’intrépide petit guerrier. Ce dernier savait que s’il bougeait trop vite le lion à grands crocs le happerait d’un seul coup ralentissant à peine sa course diabolique et ne ferait qu’une bouchée de l’insolent petit homme à la chère si tendre qui venait le narguer sur ses terres.
Ne pas bouger, rester immobile, il se répétait la consigne en boucle dans son cerveau, totalement vidé d’autre pensée. Attendre de ressentir sur sa peau le souffle brûlant sortant de la gueule béante de l’animal au paroxysme de sa rage. Jaillir brutalement de sa position, se mettre à l’abri du tronc massif en espérant que l’anima,l lancé à pleine vitesse, n’aurait plus le temps d’éviter l’obstacle que ses yeux striés de sang, fixés sur sa proie terrorisée, ne verraient qu’au dernier moment. Se recroqueviller en boule au pied de l’arbre, la tête, enfoncée dans ses bras. Attendre et espérer le choc colossal de l’animal, qui terrorisait son clan, contre l’écore rugueuse du tronc impérial profondément enfoncé dans les profondeurs du sol. Le temps s’accélérait et ne se décomptait plus qu’en fraction de… heu - au fait en fraction de rien du tout, encore un petit oubli, pas inventées les unité de temps ! – ç’a fait, rien car pendant ce temps…

à suivre ...

La saga des enfants chanteurs - RHEUHATHIK -2

A ces mots, ne se sentant plus de joie, le gamin s’éloigna tant bien que mal – pas encore très mâle, puisque mâle il sera devenu à la fin de la journée – enfin si toutes ces sales bestioles cruelles et sauvages veulent bien le laisser accomplir son voyage initiatique. Il avait un autre souci : une tribut étrangère à la région rodait dans les parages depuis quelques jours et cela ne présageait rien de bon pour ceux de son clan, surtout quand ils se promènent seuls dans les bois. Et les étrangers, que l’on avait aperçus au loin avaient de très très très gros arguments !
Le gamin avançait avec beaucoup de difficultés dans la forêt touffue car il avait non seulement les jambes et les mains fort occupés mais en plus il était pieds et poings liés par son serment, ce qui, vous en conviendrez, lui mettait le péril en sa demeure.
Cependant il retrouvait doucement son insouciance d’enfant au fil de ses pas. Il faut dire que la nature était si naturelle, les feuilles si vertes, les oiseaux si volant, l’eau si liquide, la petite Lalie si craquante qu’il était dur de garder un cœur de pierre (pas pratique pour courir !)
Pour un peu il en aurait oublié le but de sa longue marche solitaire quand tout a coup un effroyable rugissement créa une véritable panique chez tous les habitants de la forêt. L’enfant se figea sur place, tétanisé. Son cœur battit la chamade, il avait l’impression que des glaçons lui descendaient dans l’estomac. Le moment si redouté était arrivé, tout ce qui pouvait courir ou voler avait fui cette partie de la forêt laissant seul ce petit être inconscient, ce petit bout d’homme si désarmé, face au plus redoutable des prédateurs que la terre avait connu depuis des lunes. Tremblant des pieds à la tête, l’enfant chassa la panique qui commençait à l’envahir, en se concentrant sur les conseils que lui avait prodigués son aîné. Je ne vous en ferais pas ici le récit détaillé de peur de troubler le jeune chasseur. Il chercha du regard le plus gros arbre qu’il puisse trouver à portée de lui et couru si adossé. Son arme lui serait d’aucune utilité face au molosse, seule sa rapidité et sa dextérité pourraient lui sauver la vie et l’aider à remporter le combat qui s’annonçait titanesque.

à suivre...

14 avril, 2005

La saga des enfants chanteurs - RHEUHATHIK


Une des plus belles histoires est une légende qui se transmet de père en fils depuis la nuit des temps dans certaines tributs nomades au cœur des plaines perdues de l’Asie centrale.
Au temps où remontent les faits, la vie était rude et simple et les gens ne faisaient pas de longs discours, peut-être parce qu’il faisait très froid ! Par contre ils avaient développer une civilisation très sophistiquée qui leur permettait d’utiliser un minimum de mots pour gérer les problèmes courants de la vie quotidienne.
Or donc, sur les bords d’une colline, vivait une tribut pacifique – enfin pas tant que ça car de nombreux dangers couraient dans la plaine, certains à deux pattes, d’autres à quatre et même plus, enfin certains autres, on était même pas tout à fait sûr qu’ils étaient visibles mais enfin bon ! des fois il valait mieux faire un détour plutôt que de risquer un mauvais coup… déjà à l’époque !
La tribut avait, comme il se doit, un chef élu de façon très démocratique. Les élections n’avaient pas lieu à date fixe comme à notre époque mais en fonction des circonstances, soit parce que l’ancien chef s’était fait mangé ou avait décidé d’arrêter de vivre, soit parce qu’un membre de la communauté en avait exprimé la demande. La procédure était simple, rapide et sans appel ce qui en limitait le coût, à une époque où l’on ne roulait pas sur l’or. D’ailleurs on roulait sur rien du tout vu qu’on avait encore pas juger utile d’inventer la roue – tout juste un petit « Argheuhk » mais sans plus, en regardant les ronds dans l’eau .
Donc, la procédure : en fait elle était assez libre, il n’y avait rien d’écrit – et pour cause ! La plus fréquente était que les deux candidats expriment sur le forum, devant tous les membres valides de la tribut, leurs arguments, en général de solides gourdins de bois ou d’os. Celui qui avait les arguments les plus convaincants emportait les suffrages de ses collègues en même temps que la dépouille de l’autre candidat au cas où ce dernier n’aurait pas compris assez vite la pertinence de l’argumentation du futur chef.
L’aurore aux doigts de fée était levée depuis un petit moment et commençait sérieusement à s’ennuyer. D’impatience elle appela le chef qui de toute façon avait un besoin pressant autan que naturel d’aller la saluer – tout se faisait si naturellement à l’époque ! alors que de nos jours … mais bon ! on va pas refaire le monde surtout que pendant ce temps, le chef, ce grand mâle avait parlé à un petit d’homme qui avait subrepticement suivi son guide spirituel. Hé mais qu’a dit Rhah, le grand mâle en chef ? Le mâle a dit : « Haarg rheugh rhoghok »
Ah ! vous aussi vous avez remarquez ?: il leur manque encore quelques lettres – pour le « y » c’est normal, il leur aurait fallu avoir un grec sous la main, mais pour les autres il faudra être patient. Et voilà, nous sommes au cœur du problème. Ils n’étaient pas très très patients, n’allez surtout pas leur demander de faire un puzzle de mille pièces, vous risqueriez de repartir avec quelques arguments plus que convaincants et de toute façon ils n’avaient pas encore inventer la machine à découper l’image en petite pièces. Comment ?… l’image non plus ?
Je vous ferais remarquer que si vous m’interrompez sans arrêt, nous allons passer à coté d’une des plus belle pages de l’histoire de l’humanité, une page si belle que des papys russes nous l’on minutieusement transmise, une page si belle que je la lis encore dans vos yeux candides (?), une page si belle qu’un jour peut-être les hommes pourront l’oublier quand tout le monde sera à la page. Essayons donc de traduire brièvement le discours du chef.Rhah dit donc : « te voilà enfin à l’aube d’un jour nouveau pour toi. Soit sans peur et sans reproche, bel ados, nie ce mal que t’as là. Tu es grand maintenant, il te faut faire tes preuves et faire désormais profiter la meute de ta juvénile vigueur, ramener abondante pitance à l’engeance, accomplir l’épreuve initiatique : rapporte la bête du fond de l’étang, tout cela avant que le soleil en son déclin montre le ciel qui poudroie. Ne tergiverses pas, prends tes jambes à ton cou, ton courage à deux mains et s’il te reste de la place quelque solide argument qui saura par convaincante manière éloigner les maux contraires à ton dessein. Ne me fait pas languir, vole au vent léger de ce doux matin de printemps, fait moi le serment de revenir mâle, hein ? - j’ai dit »


à suivre

13 avril, 2005

Céline - 4

4.
Céline était seule dans sa chambre et pour une fois n’avait pas mis de musique. Celle ci tournait dans sa tête, lancinante, insistante, égrenant une à une les notes du chapelet de chansons des choristes. La dictée musicale était un de ses points forts. Souvent à l’école elle donnait le « la » à tel point qu’il lui faudrait prochainement en refaire provision, son stock diminuait sérieusement. Elle se promettait de transcrire sur son instrument ces mélodies qui l’avaient tant émue. Elle en retardait cependant le moment, goûtant au plaisir de voyager dans le petit train de ses souvenirs. Elle savait pertinemment que les notes une fois sorties de son violoncelle lui échapperaient, iraient distraire la petite voix si pure.
« pourquoi mais pourquoi ça tourne sans arrêt ? j’aime quand même d’autres choses. Kyo c’est grandiose aussi ! j’ai l’air de quoi moi ? »
en tout cas l’air elle l’avait bien là. D’ailleurs elle n’en manquait pas, d’air, ni d’occupations. Précisément elle avait du pain sur la planche et les doigts de la main gauche sur le bureau, ce qui ne facilitait pas les choses. Il fallait choisir et sans hésitation elle continua la décoration de ses ongles, qu’elle avait soigneusement limés auparavant. C’était la main qui courait et glissait sur les cordes et il n’était pas question de laisser les ongles contrarier la tenue des cordes. L’opération était délicate et elle fronçait son petit nez , tirant le bout de la langue. Le miroir trouvait le tableau charmant et lui aurait volontiers renvoyé son image, hélas pour lui, Céline en ce moment tenait solidement son image entre ses mains et les choses en restèrent là.
Elle souffla sur son œuvre et sur ses doigts par la même occasion, un petit sourire de satisfaction sur les lèvres, qu’avait donc dit son baboune ? « un p’tit bonheur par jour, c’est pas merveilleux la vie ? »
Elle sortit le violoncelle et l’archet de leur gros étui en plastique rigide qu’elle n’avait pas pu s’empêcher de décorer d’autocollants. Cela ne faisait pas très artiste mais bon, comme elle le dit souvent à sa mère «ça l’fait, nan !» et c’est tout. Elle aimait bien entretenir les crins de son archet. c'est de la colophane qu'on y met. Ca a une belle couleur rouge, quand elle est neuve, elle brille mais il faut la briser doucement en surface avec le talon de l'archet, et après, elle devient mate, il y a de la poussière et des eclats,ça sent bon aussi, la résine de pin et ça colle sur les doigts. Il faut faire attention à ne pas s'en mettre sur les doigts, surtout ceux de la main gauche, parce qu'après c'est désagréable de jouer, les doigts ont du mal à glisser sur les cordes
Elle se dirigea le cœur léger vers la salle de répétition au deuxième étage du conservatoire où elle suivait gentiment le deuxième cycle aussi.
Quand on est une élève du deuxième cycle, on a 2h de solfège par semaine. Il faut un minimum travailler sa lecture de notes et de rythme, et le chant mais cette année elle n’en ferait plus. Il y a aussi de l'orchestre, il faut travailler les morceaux, mais généralement c'est pas trop difficile, les violoncelles ont rarement la mélodie, et sans le reste de l'orchestre c'est assez inintéressant mais quand on joue dans l'ensemble alors là c'est vraiment extatique, l’extase quoi !. Bien-sur on a aussi le cours de violoncelle. Pour ça, on est sensé (hum !) travailler au moins une heure par jour chez soi. On commence par les gammes et les arpèges, avec différents rythmes et coups d'archets, après il y a les exercices pour les doigts et les exercices pour l'archet. Il y a une ou deux études a travailler et enfin le morceau. Ce sera certainement un des premiers morceaux des six suites de JS Bach, ou l'allegro appassionato de Johannes Brahms, madame Valhoir changeait rarement ses habitudes.
On répète longtemps le même passage les doigts et l'archet s'embrouillent, mais c'est normal, on continue et recommence encore. Finalement le passage finit par entrer. Céline aussi d’ailleurs… dans la salle.
Elle papota joyeusement avec les autres élèves, parlant des dernières vacances et autres babioles sans importances qui font tout l’intérêt de la vie en groupe, sans s’occuper du brouhaha général qui ne s’en offusqua pas le moindre du monde. Au passage elle embrassa Lucie et Natacha, ses grandes copines d’archet. Elle chercha Thomas du regard. Il était au fond de la salle en train de ramasser ses partitions éparpillées au pied de son pupitre. C’était un garçon de son âge qu’elle aimait bien. Très gentil avec elle, plein de rondeurs, il maniait l’archet et les mathématiques en virtuose. Il avait aussi un don particulier pour attirer les catastrophes. Il lui fit la bise d’un air distrait mais soudain ils s’immobilisèrent tous les deux, interloqués. Une sorte de vibration sourde les avaient traversés, non pas une étincelle mais quelque chose de plus étrange, plus profond et même plutôt agréable, à peine une seconde !.
Thomas avait encore la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés quand madame Valhoir entra d’un pas majestueux, les bras chargés de partitions.

Céline - 3

3.
Céline ne tenait plus en place depuis que son père lui avait promis cette sortie au cinéma. Bien-sûr elle avait entendu parlé du film, c’était devenu un sujet récurrent de discussion dans la cours du collège entre copines et elle devait bien être une des dernières à ne pas l’avoir vu. Elle s’était bien gardée d’en parler autour d’elle mais fréquentait d’une manière plus assidue les cercles discrets qui se formaient entre filles sous les arbres du fond. Elle n’y trouvait pas grand chose d’intéressant mais ne pouvait cependant pas s’empêcher d’y aller, c’était comme ça ! et ne se posait pas plus de questions. Des fois elle avait la tête trop pleine, les idées, les émotions, les sentiments, les obligations et devoirs de son âge y faisaient une grande farandole sans qu’elle tente d’en arrêter le cours ou cherche à en tirer l’écheveau.
Saura-t-on jamais ce qui se passe dans la tête d’une jeune fille de treize ans ?

La lumière s’éteignit, un petit sourire au papa qui cherchait le moyen le plus efficace de disparaître dans son fauteuil et Céline, le cœur battant bizarrement la chamade - qui d’ailleurs n’avait rien fait - quitta la terre ferme pour les rivages envoûtants de « fond de l’étang »
Les premières larmes apparurent avec Pépino. Il ressemblait trop au petit frère qu’elle n’aurait plus, une déchirure enfouie au plus profond d’elle et qui surgissait quelquefois à l’improviste, la plongeant dans de longs silences mélancoliques.
Le générique défilait sur l’écran, accompagné du dernier chant, et pourtant personne ne quittait son fauteuil, voulant goûter jusqu'à la dernière note le kyrie majestueux « in memoriam ». Comme à regret, la lumière revenue, chacun quitta son fauteuil en silence désirant demeurer encore dans l’univers magique qui l’avait tant bouleversé, retenir un peu le cours du temps avant d’affronter la rue, la vie de tous les jours. Les belles mélodies continuaient leur ronde lancinante, s’entrecroisant, se mélangeant comme les arabesques des patins sur la glace dans la tête de Céline. Les yeux dans le vague, elle enfouit sa petite main dans celle de son père qui ne pipait mot tout en arborant un air décontracté qui aurait fait se tordre de rire ses copains. Heureusement ils étaient à des années lumière.
Seule une caresse de pur bonheur était passée sur un océan d’émotions.

Céline ?
….
Visiblement son vaisseau spatial n’avait pas encore atterri, elle était le « cerf-volant volant au vent » Pour ne pas rompre le charme et maintenir le « calme enchantement », son père éteignit la radio de la voiture. Le voyage de retour se déroula en silence.
Sur le pas de la porte il dit à sa fille :
« Tu sais ça se soigne !
Foin des praticiens et autres carabins, comme thérapie nous ferons quelque emplette dans la première échoppe venue afin de revisiter ce qui vient de nous égratigner »
Heu… un peu compliqué le Baboune mais l’annonce lui alla droit au cœur et encore une fois elle lui sauta au cou.
Faut pas négliger les bonnes habitudes !

« et quand tu auras touché terre, tu prépareras tes affaires de musique, demain tu as ton cours de violoncelle au conservatoire et si j’ai bien compris ce que m’a dit madame Valhoir, une petite surprise vous attend. »
« dit moi ! »
« dis non ! un p’tit bonheur par jour, c’est pas merveilleux la vie ? Et puis il est tard et l’humain ç’a pionce ! hum…bon…
bisous ma puce »

Céline 2

2.
Hé Céline tu rêves ?
Glup ! sûr que non, enfin pas tout à fait, elle se laissait aller sur son erre scrutant l’entrée de la patinoire d’un air il faut le reconnaître rêveur, en sifflant un petit air de rock. Si avec tout ça vous trouvez qu’elle manque d’air…
Elle rejoignit le groupe attentive aux paroles de Lydie, la monitrice :
- Ecoutez moi bien les filles j’ai passé les vacances à mettre au point un programme d’entraînement qui devrait nous permettre de faire honneur au club pour les tournois de France. Cette année nous n’aurons pas d’excuses.
Allusion à peine voilée aux événements de l’année dernière, avant… avant… personne ne broncha et Lydie se lança dans de grandes explications, dessinant sur sa grande planche des arabesques compliquées. Céline prêtait une oreille distraite au discourt en espérant que ce dernier la lui rendrait en bon état. Elle était incontestablement le meilleur élément mais sa première année au collège avait été passablement perturbée et une « punition » malencontreuse priva son équipe de la médaille tant convoitée.
L’équipe s’élança enfin sur la glace, évoluant avec grâce au son d’un musique insipide. Pourquoi fallait-il des musiques aussi ringardes ? qu’importe, enfin dans son élément, elle goûtait au plaisir de défier la pesanteur dans des sauts qu’elle maîtrisait de mieux en mieux. Harry devait ressentir les même frissons sur son balais !
Son regard se porta malgré elle sur le bord de la piste où se tenait maintenant Ryan qui lui lançait un grand sourire. Céline, le regard en feu voulu le rattraper d’un geste ample et sur sa lancée donna à sa voisine une claque monumentale. Le hurlement qui s’en suivi n’en fut pas moins monumental. Céline toute confuse lui présenta toutes les excuses qu’elle pu rassembler en prenant bien soin de ne pas regarder ses copines pliées en deux en pleurant de rire. Lydie essayait en vain de ramener le calme parti flâner dans des lieux plus propices.
La fine équipe riait encore en quittant la piste imitant Céline qui traînait les pieds un peu en retrait. Pour ne rien arranger les hockeyeurs arrivaient en file indienne, Ryan en tête. A travers la grille de son casque, les yeux rieurs, il complimenta Céline « Céline, quand tu patines, tu es divine » « merci » souffla-t-elle le regard vide et la bouche sèche ce qui fait qu’elle percuta à nouveau ses copines arrêtées. « T’en fait pas Céline, un jour tu arriveras à lui parler »
A la sortie de la patinoire, son père l’attendait
« Bonjours ma puce ça c’est bien passé ?
Oh oui, on va préparer les tournois
Bonne nouvelle non ? moi aussi j’en ai une, je t’emmène au cinéma
Ce soir ?
Non demain après midi, je voudrais voir ‘Les Choristes’ et je me disais…qu’enfin …heu… tu devrais aimer et …heu… bref j’ai pas envie d’y aller tout seul »
Elle sauta à son cou
« Baboune, je t’aime »

12 avril, 2005

Céline - 1

1.
Céline ne tenait plus en place dans sa chambre. Il y a longtemps qu’elle avait fini ses devoirs, d’ailleurs elle n’en avait pas eu beaucoup à faire. En effet les cours venaient juste de reprendre. Elle referma ses livres et regarda à nouveau l’écran de son ordinateur : Magali, sa meilleur amie n’était toujours pas en ligne. Elles s’étaient pourtant mis d’accord sur l’heure. D’un clic de souris rageur elle referma toutes les fenêtres, contempla un rien découragée son fond d’écran un peu tristounet et encore une fois décida d’éteindre sans résoudre ce problème qui à vrai dire ne la préoccupait que très moyennement.
Elle se précipita dans l’escalier en prenant bien soin de sauter les dix dernières marches. Là il y avait une bonne marge de progression, elle le savait mais le problème était délicat à résoudre : soit elle prenait plus d’élan et elle s’écrasait la tête contre le mur du haut, soit elle bondissait encore plus fort et là elle risquait de s’écraser sur le mur au pied de l’escalier. Ce soir elle n’avait pas le temps de faire des essais et puis maman était en bas ce qui était en soit une excellente raison de surseoir à des expériences hasardeuses.
Céline était une jeune fille de treize ans, bien dans sa peau, qui poursuivait ses études dans le collège voisin en prenant bien soin de ne pas les rattraper trop vite. Ses deux passions lui prenaient beaucoup de temps : le patinage artistique et le violoncelle. Elle ne négligeait pas pour autan ses copines, ses parents et ses ongles. Mademoiselle avait sa petite réputation : elle changeait la décoration des ses ongles toutes les semaines, à chaque fois une miniature colorée ; une artiste à sa façon !
Alors pas une seconde à perdre
- maman, on y va ?
- …
- on va être en retard à la patinoire