Céline 6-
La longue silhouette de monsieur Le Gwarder apparu dans l’embrasure de la porte. Immédiatement le silence se répandit sur la salle comme une traînée de poudre. Il n’avait pas dit un mot, juste un petit sourire narquois à la commissure des lèvres.
Maître Gwarder, comme tout le monde l’appelait respectueusement au sein du conservatoire, était le très renommé directeur de l’établissement. Il avait exercé par le passé une prestigieuse carrière de chef d’orchestre, parcourant inlassablement le monde et ses salles de concert. Il était tout de noir vêtu avec une longue veste de toile, une cravate « lavallière » et un large couvre-chef en feutre anthracite. Il portait souvent sa main droite au revers de sa veste où était dissimulée en permanence sa longue baguette. On dit qu’il ne s’en séparait jamais.
Madame Valhoir, le visage en feu se relevait maladroitement pendant que le concierge bafouillait des mots incompréhensibles en faisant des ridicules courbettes. Le visage du maître parcouru lentement toute la classe, les élèves reprenant un à un leur place et leur instrument dans un silence tellement pesant qu’on aurait pu entendre réfléchir un homme politique. Céline suivait ses yeux du regard. Quand ceux-ci rencontrèrent son visage, elle crut distinguer un petit éclair dans les yeux pâles du directeur et son sourire s’accentuer imperceptiblement. Une très légère vibration traversa sa nuque comme un éclair. Elle sursauta. Déjà le regard avait glissé vers son voisin. Thomas à son tour sursauta. Il se retourna légèrement vers Céline, les yeux écarquillés, pleins de questions. Céline haussa légèrement les épaules, comme pour dire « plus tard ! »
« Mesdemoiselles, messieurs, il me semble que l’exercice n’était pas tout à fait fini. Voyons, pendant que je suis là, si nous pouvons exécuter ensemble notre morceau préféré. Page 10, je vous prie », et il sortit sa baguette. Un frisson parcouru l’assemblée. On dit que sa baguette est magique. On dit que certaines nuits, au solstice d’été, à la Saint Jean, au cœur d’une forêt profonde d’Armorique, il fait chanter tous les oiseaux, les arbres et les fleurs, le vent et les ruisseaux. La musique est si belle, le chœur est si pur que l’on peu voir monter vers les étoiles une brume scintillante de mille diamants et qu’alors tous les participants vibrent à l’unisson, flottant légèrement au-dessus du sol comme portés par une incommensurable joie.
Ses mains battaient la mesure avec élégance. Elles étaient si belles, longues et fines, très finement ridées, que Michel-Ange lui-même aurait parcouru le monde pour pouvoir les peindre. Le morceau fut impeccablement joué, les enfants avaient le visage radieux et pour un peu auraient applaudi. Pourtant ils restèrent immobiles, les archets figés, laissant filer les dernières notes. Ce n’est pas qu’ils aient peur du maestro, il n’avait jamais vraiment réprimandé personne, mais son charisme était tel qu’en sa présence, nul ne songeait à faire le moindre désordre.
« Merci mes enfants, je crois que votre professeur doit vous communiquer une nouvelle importante. »
Madame Valhoir repris sa place sur son estrade et s’éclairci la gorge, le visage grave, comme si elle avait un discours dramatique à prononcer. Mais elle ne tint pas longtemps. Un large sourire se dessina sur son visage d’ordinaire plutôt sévère.
« la chorale des Petits Chanteurs de Saint Marc, c’est à dire les Choristes vont venir faire un concert au Grand Théâtre et les sections d’étude du conservatoire ont été choisies pour les accompagnées »
un HOURA retentissant jaillit de toutes les gorges enfantines, suivi d’applaudissements
« Madame, Jean Baptiste, le soliste, sera-là ? » Elle n’avait pas pu s’en empêcher, la phrase était partie toute seule de la bouche de Céline
Madame Valhoir se retourna vers le directeur qui confirma sa venue par un simple clignement des yeux. Le sourire malicieux n’avait pas quitté ses lèvres… peut-être un peu plus accentué.