Monsieur Pied
Monsieur Pied
était un homme heureux
Il était très gai, Pied
Pourtant son travail
Lui cassait les pieds
Il était gratte papier
Chez un drapier
En face du tripier
Rue de la Piété
Il rêvait d'autre métiers
Pourquoi pas croupier
Ou sapeur-pompier ?
Un jour il n'y tint plus
Il fit un pied de nez
À ses coéquipiers
Gagna son pied-à- terre
Et se dit devant son tulipier
Est-ce trop Pied ?
Cette vie à cloche-pied ?
J'irai va-nu-pieds
Chercher l'aventure
Devant un cirque
Il mit pied à terre
Demanda l'entrée
Vous frappiez à ma porte ?
Que savez vous faire ?
Marcher sur les mains
C'est un emploi à contre-pied !
Non non vous serez pierrot
Comique-troupier
Allez chez le fripier
Monsieur ex-Pied…
de temps en temps
aujourd'hui j'ai voulu tuer le temps
mais il ne m'a pas laissé le temps
c'est qu'il n'était pas content
le temps
de me voir autant mécontent
tu n'es qu'un charlatan
me dit-il, insultant
je t'en prie, va t'en
au vent portant
sois un homme épatant
aider les gens mal-portants
leur donner du réconfortant
alors je suis parti, clopin-clopant
le cœur palpitant
avec un moral de titan
dans la rue, sautant,
sans faire de cancan
c'est un travail excitant !
alors tu vois, jeune flétan,
me dit le temps,
l'espace d'un instant,
qu'il vaut mieux un passe temps
que tuer le temps
crois moi si je te prétends
qu'au prochain printemps
tu danseras sur le tartan
une valse à quatre-temps
Céline 23 - 31
Céline 23 -
Angèle Estrella s’approcha des nouveaux novices le regard radieux, les bras ouverts :
« Bravo les enfants, je suis fier de vous, bonjours à toi, Samantha, heureuse de faire ta connaissance. Vos parents m’avaient bien dit que vous commenciez à ressentir la Force. Maintenant je ne serais plus la plus jeune de ce groupe. J’ai été désignée pour être votre marraine, votre grande sœur en quelque sorte. Je suis chargée de vous enseigner les premières notions que vous devez acquérir pour vous développer harmonieusement au sein de notre Communauté et vous aider à canaliser votre nouvelle énergie. Quand nous sommes entre nous vous pouvez m’appeler Angèle, c’est tellement plus sympathique.
Vous pouvez me poser toutes les questions qui vous trottent par la tête. J’y répondrais de mon mieux dans la mesure où j’y suis autorisée. En attendant, je crois que nous allons tous trinquer en famille à votre intronisation »
L’ambiance était maintenant nettement plus conviviale. Tout le monde était détendu et chacun n’avait de cesse de dire quelques mots chaleureux aux trois héros de la soirée. Céline avait la tête qui tournait légèrement, elle n’avait pas trop l’habitude de boire des boissons alcoolisées. Elle avait en effet à la main un verre rempli d’un liquide ambré dont elle n’appréciait pas trop le goût, c’est le moins qu’on puisse dire. C’était du chouchen, un breuvage typiquement breton à base de miel. Un peu gênée par le tutoiement, elle demanda à Angèle.
« Heu… dit moi, hum hum…, Angèle, pourquoi tu as parlé de heu… groupe ? Et Shana, maintenant je sais où j’ai vu ce mot, c’est sur le forum… »
« Doucement la belle. Une question à la fois. En effet, une partie de la légende de Shana a été dévoilée sur le forum du site de Jean Baptise Maunier. Nous savions que l’histoire serait lue par un certain nombre de jeunes de ton âge, comme toi par exemple »
«Je ne l’ai encore pas lue, mais je le ferais dès demain. Pourquoi ce site en particulier ? Je vais en voir plein d’autres. Et qui a mis cette histoire ? »
Céline 24 -
« Me doutais bien qu’il y aurait rapidement des questions auxquelles je ne pourrais pas répondre, au moins tout de suite. Tu dois me faire confiance, et je sais que ta patience ainsi que celle de tes amis va être mise à rude épreuve ces prochains temps. Mais comme je sais aussi que vous n’avez pas les deux pieds dans le même sabot je me doute que vous allez faire travailler vos petits neurones et chercherez à en savoir plus.
Pour l’instant juste quelques indications : l’histoire, à ma connaissance n’a été mise que sur ce site et son auteur est lui aussi un membre, mais d’une autre Communauté. Il y a en effet plusieurs communautés en France et même dans le monde. Moi, je ne connais que les françaises, car je n’ai pas un degré de connaissance assez élevé pour avoir accès aux relations internationales.
Venez près de moi, tous les trois, j’ai quelques éclaircissements à vous donner. Je vais faire court parce qu’il est tard et que vous avez déjà vécu pas mal d’événements ce soir et qu’il va vous falloir les assimiler. Pour faire votre formation, vous apprendre à maîtriser la Force et plein de choses encore, je vous propose de nous réunir au moins une fois par semaine. Je verrais avec vos parents où et comment parce que entre vos cours, le conservatoire et la patinoire… cela ne va pas être très facile. Essayez de rester ensemble ou à portée de vue le plus possible. Vous avez remarquez que vos dons se révélaient quand vous étiez unis, c’est très important ça. Vous ne risquez pas grand chose mais vaut mieux être prudent ! Pour… »
Le Gwarder venait de s’approcher du groupe et posa doucement sa main libre sur le bras d’Angèle.
« C’est très bien Angèle, je vois que tu prends ton rôle au sérieux. Il faudra bien l’écouter les enfants, mais il me semble percevoir un brin de fatigue, alors il vaudrait peut-être mieux aller nous reposer. »
Il allait repartir mais se ravisa, en se frappant la tête
« Ah ! j’allais oublier, Céline et Thomas, travaillez bien la préparation du concert des Choristes, c’est très important. Quant à toi, Samantha, je veux que tu y sois présente, et même dans les coulisses, tu viendras avec ta mère, je me suis mis d’accord avec elle. Restez discrets quand nous ne sommes pas seuls »
Céline avait un peu occulté les Choristes, et surtout Jean Baptiste mais ce petit rappel venait de lui donner quelques idées. Et elle ne se sentait pas du tout fatiguée…
Céline 25 -
La nuit avait été courte pour Céline. D’abord elle s’était couchée fort tard pour un jour de semaine. Ensuite elle avait eu bien du mal à trouver le sommeil, tournant et retournant sans cesse les souvenirs de la soirée mémorable qu’elle venait de passée. Pour un peu elle aurait juré qu’elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Enfin une fois retombée sur son lit après le bon gigantesque qu’elle fit, provoqué par le hurlement strident de son ennemie juré du matin, son réveil abhorré, force lui fut de constater que son lit ressemblait plus à un champ de bataille qu’à la couche d’une petite fille romantique. Son sommeil avait dû être plus qu’agité. Heureusement elle retrouva rapidement ses fonctions vitales, tout du moins les réflexes conditionnés d’une collégienne capable de se présenter dans une tenue correcte en haut de l’escalier. Ne lui demandez surtout pas comment elle avait fait.
C’est en voyant les marches que les rouages de son cerveau recommencèrent à fonctionner. Il y avait là un challenge idiot et complètement inutile donc, bien sûr, d’une importance capitale à ses yeux : comment sauter quelques marches de plus sans risquer sa vie et les foudres maternelles par la même occasion. Ce problème, elle l’avait laissé en suspend depuis quelque temps, pensant avoir atteint ses limites. Ce matin, une nouvelle tentative s’imposait.
Elle décida que deux marches suffiront à établir un record absolu. Elle concentra tout son esprit sur le point de chute qu’elle jugea idéal et tendit progressivement les muscles. Les brumes du sommeil étaient dissipées. Son corps se détendit dans une brusque poussée comme la corde lâchée par l’archer. Elle ne s’écrasa pas vraiment sur le mur du couloir mais le bruit de l’impact et le cri qu’elle n’avait pas pu retenir suffirent à faire sortir sa mère affolée de la cuisine adjacente. Céline était fière, sa mère était en colère. « Maman, tu ne peux pas comprendre ! » Non décidément il y a des choses que les grandes personnes ne comprendront jamais.
Céline 26 -
Elle se retrouva assise à coté de Samantha, essayant de comprendre pourquoi le professeur lui parlait de Charlemagne et de son fils qui n’avait pas eu la même envergure. Encore un fois elle ne saurait dire ce qui s’était passé depuis son atterrissage dans le couloir. Une rupture dans le continuum espace-temps certainement !
Elle avait du mal à fixer son attention. Ce soir il y avait entraînement à la patinoire. « Par l’Ordinatio Imperii de 817 il règle sa succession… » Elle retrouverait Ryan « … et subordonne ses puînés ( ?)… » est ce que lui aussi ? « … à leur aîné Lothaire… » il fallait qu’elle lui serre la main « … il maintient ainsi l’unité de l’empire… » si elle pouvait ressentir la fameuse vibration « …la naissance de son fils Charles en 823 … » cela serait vraiment « …révolte de Lothaire… » oui, elle irait lui dire bonjour…
« Céline, peux-tu me dire qui tenta ainsi d’instaurer le droit d’aînesse ? »
« Ryan, monsieur » Tonnerre de rire dans la salle ! Le visage de la pauvre Céline ressemblait à s’y méprendre à une honnête tomate au faîte de son mûrissement.
« Rendons à Louis premier, dit le Pieu ou le Débonnaire, ce qui lui appartient. Céline tu viendras me voir après le cours »
Céline 27 -
Samantha, compatissante, avait attendu Céline après le cours. Tout en essayant maladroitement de dissimuler un sourire moqueur elle lui demanda :
« Alors, il t’a mis une retenue ? »
« Non, mais je savais plus où me mettre. Il m’a donné un devoir à faire sur Louis le Pieu. Qui c’est encore celui-là ? tu crois qu’il est à la Star ac’ »
Toutes les deux descendirent joyeusement l’escalier en bondissant d’une marche à l’autre pour rejoindre les autres en récréation et furent aussitôt entourées par leurs camarades de classe. Heureusement pour Céline que Ryan était dans un autre collège car les commentaires allaient bon train. Céline, tout à fait réveillée maintenant, avait pris le parti de rire de sa bévue et en rajoutait même un peu pour la plus grande joie de tous.
Soudain Samantha lui pris le bras en lui montrant un petit groupe de garçons bien agités derrière les arbres au fond de la cour. Au milieu il y avait Thomas en fort mauvaise posture. Il était ballotté de droite et de gauche, catapulté contre le tronc, par des élèves au sourire féroce qui se moquaient de lui. Le jeu était plutôt sadique et Thomas n’avait pas l’air d’apprécier. Cela faisait déjà quelques temps que le jeu de la machine à laver avait fait son apparition dans les cours des collèges de la ville, au grand dam des enseignants et des élèves ses plus vulnérables bien sûr.
Les deux filles s’approchèrent rapidement du groupe et pouvaient voir maintenant le grand Arnaud, un peu en arrière du cercle, qui dirigeait les opérations. Parfaitement à son aise, il avait les deux mains enfoncées dans les poches de son pantalon outrageusement descendu au milieu des fesses. Comme au conservatoire, il était toujours entouré d’un petit groupe de fidèles. Heureusement qu’il était en troisième et qu’elles n’avaient pas trop souvent à faire avec lui. Pour l’instant, elles savaient exactement ce qu’elles devaient faire et, se tenant par la main, elles se rapprochèrent de Thomas.
Céline 28 -
Thomas avait le visage livide. Ses deux copines se concentrèrent intensément, les yeux fixés sur les garçons tortionnaires. Ceux-ci baissèrent rapidement les bras à la grande surprise d’Arnaud qui les invectiva vertement. Ils allaient reprendre leur sinistre jeu mais entre temps Thomas s’était glissé devant ses amies et leur tendit discrètement les mains renforçant leur « action ». Pendant un instant le jeu sembla figer, comme si deux forces antagonistes agissaient sur le groupe. Celui-ci finit cependant par se disloquer et chacun commença à s’éloigner. Visiblement Arnaud était perplexe. Il ne devait pas avoir l’habitude qu’on lui résiste. Il regardait Thomas d’un air mauvais mais ne dit pas un mot.
Celui-ci lui rendit son regard avec un petit rictus sadique en fixant son pantalon. En un instant, le pauvre Arnaud se retrouva tout penaud, le pantalon aux chevilles sous les quolibets de tous ceux encore présents à ses cotés. Thomas avait du mal à se retenir et préféra s’éloigner sur la pointe des pieds pour ne pas entendre le flot de jurons sortant de la bouche d’Arnaud, flot impressionnant pour un jeune de son âge. Il est certain que si l’art des jurons était enseigné, le bougre en eu remporté les lauriers.
« Mais Thomas, ça va pas, non ! Tu sais bien qu’on a pas le droit… »
« Désolé Samantha, ce n’était pas en effet une noble cause. En tout cas, j’ai bien failli hurler de rire sous son nez. Si pourtant à ton point de vue je me range, je vois bien qu’à ton exemple je ne serai jamais un ange »
« Hoho, arrêtez tous les deux ! Il y a quelque chose de beaucoup plus inquiétant. Avez-vous remarquez le mal que nous avons eu à les repousser et sans le renfort de Thomas ils allaient recommencer. J’ai ressenti une sorte de réplique. J’ai un mauvais pressentiment, comme si Arnaud s’opposait à nous. Mais ce n’est pas possible. J’espère qu’il ne s’est pas rendu compte de nos heu… pouvoirs, surtout après le coup du pantalon. Il faut que nous en parlions absolument à Angèle »
Céline était bien sérieuse en tenant ces propos et tous les trois étaient si absorbés par leur discussion qu’ils ne remarquèrent pas Arnaud les suivant des yeux, le regard calculateur. Ils auraient peut-être eu l’esprit moins tranquille en regagnant leur salle de cours.
« Au fait, qui vient avec moi ce soir à la patinoire ? »
Céline 29 -
Finalement c’est Thomas qui accompagnait Céline à la patinoire car Samantha avait à la même heure une partie d’échec à son club. Ils étaient un peu en avance et devisaient tranquillement devant l’entrée sous le soleil douillet de cette belle fin de journée d’automne. Soudain, déboulant du parking en contre-haut, arrivèrent droit sur eux trois joyeux énergumènes lancés à grande vitesse sur leurs skates. Ah ! non…, le dernier était en roller. Surprise, Céline pris aussitôt la main de Thomas, c’était maintenant devenu un réflexe de défense, mais la relâcha encore plus vite en constatant que Ryan faisait partie de l’équipée.
Elle avait du mérite à le reconnaître car on aurait dit trois frères jumeaux (certains esprits rationnels évoqueraient même l’idée de triplés !). Pour faire simple, ils avaient tous les trois le même look : sweat à capuche beaucoup trop long, casquette longue visière élimée, baggy outrageusement bas sur les fesses et vans délacées.
Leur arrêt fut de toute beauté en respectant les règles d’un art que seuls les initiés pouvaient apprécier à leur juste valeur et Thomas de toute évidence en était un, lui qui salua les trois compères du rituel convenu : poing, paume.
« Ben, vous vous connaissez ? » dit Céline, un peu désappointée
« Hé, oui, la puce ! » lui répondit Ryan avec un grand sourire réjoui. Il la prit par les épaules et sans lui demander son avis, il l’embrassa.
Hoooooooooouuuuuuu… Céline !!!
Céline 30 -
Céline n’en revenait pas, il l’avait embrassé ! pour vous cela ne voulait pas dire grand chose mais pour elle cela signifiait beaucoup… Surtout qu’en jeune homme averti des subtilités des manœuvres d’approche de la gente féminine fréquentant les collèges, il avait gardé dans sa main la main de Céline. Il lui faisait de petits sourires mais continuait à parler avec Thomas. Céline n’avait pas retiré sa main. Tout c’était déroulé si naturellement, si facilement, si à moi, si bill, si cité, si erra, si est, si flotteur, si gilet, si l’âne, si lance, si laine, silencieusement, si l’y cause, si ion, si lisse, si l’eau, si magret, si marre, si mien, si mon, si mulet, si niais, si non, si nuée, si où, si font, si rot, si reine, sismique, si tard, si tôt, si tuer,
si do ré,
mi la sol,
Elle était heureuse.
Dans son petit nuage ?
Non, elle regarda ses pieds : ils touchaient le sol !
Cependant quelque chose la tracassait
Céline 31 -
Elle n’avait pas ressenti la petite vibration tant attendue. C’était comme si, à cette constatation, un bloc de glace avait soudainement rempli son estomac. Sa joie avait fait place à une immense déception. Ne voulant pas montrer sa peine à Ryan, elle se tourna vers Thomas. Visiblement ce dernier devait s’attendre à ce genre de réaction car au vu du visage navré de son amie, Thomas lui glissa subrepticement à l’oreille
« Et alors, qu’est-ce que ça change ? »
Oui, c’est vrai, elle eut honte de sa réaction stupide, pourquoi refuser le plaisir d’être bien avec Ryan, même s’il ne faisait pas partie de la « famille » ? Elle se sentit à nouveau légère et remercia Thomas d’un grand sourire réjoui.
« Tu viendras nous voir au concert des Choristes ? » demanda-t-elle à brûle-pourpoint, interrompant sans vergogne la conversation en cours. Ryan, déconcerté laissa sa phrase en suspend. Cette dernière ne sachant pas trop quoi faire s’envolant doucement laissant les interlocuteurs dans l’expectative.
« Tu sais, Céline, notre ami était justement en train de nous exprimer toute la joie qu’il aurait à venir t’admirer et éventuellement écouter les Choristes malgré le peu d’intérêt qu’il y porte. Est ce bien là l’essence de ton propos, mon cher, avant que cette charmante jeune fille atterrisse brusquement dans notre conversation ? »
« Mais comme vous savez résumer à merveille ma pensée, fidèle camarade ! Et vous ma tendre amie, êtes vous rassurée sur la noblesse de mes sentiments ? »
Céline les joues à nouveau en feu prit le parti de rire à l’unisson des garçons et, se hissant sur la pointe des pieds, déposa un tendre baiser sur le front rieur de Ryan
m'banta
C’est l’histoire d’un petit garçon qui vivait à une époque si lointaine que les historiens en ont oublié la date. Elle se situe en Afrique, tout en bas, là où les terres se resserrent…
m'banta - 1 -
m’banta était un petit garçon bien tranquille qui passait la plus grande partie de ses journées à garder un troupeau de chèvres. C’était une mission très importante qu’on lui avait confiée et il l’assumait avec le plus grand sérieux. Le troupeau représentait en effet presque la seule richesse de sa famille. Tout autour du village il y avait ainsi plusieurs, troupeaux essayant de tirer leur maigre pitance d’une végétation plus que clairsemée sur le vaste plateau aride où vivait sa tribu.
Sa vie pouvait paraître monotone. Errer d’un pâturage à l’autre avec pour seuls compagnons quelques chèvres dont l’unique préoccupation était de brouter des herbes aussi coriaces que du cuir ne devait pas être particulièrement passionnant. Pourtant m’banta ne se plaignait jamais de son sort. Il faisait partie de la nature qui l’entourait, le baignait. Il vibrait avec elle, en comprenait les moindres frémissements. Il parlait à ses chèvres. Il parlait aux arbres, peu, il n’y en avait pas beaucoup. Il parlait aux pierres et aux oiseaux, aux serpents et au vent. Tous étaient ses amis. Il confiait ses peines et ses joies aux rares nuages qui parfois venaient lui tenir compagnie.
Il parlait ? Non, pas vraiment ! Il chantait. Un chant étrange, qui sortait du plus profond de sa gorge. Sans paroles ou du moins pas avec les mots de son peuple. Des mots inconnus, qui lui venaient comme ça, il ne savait d’où. Peu importe, avec, il communiquait avec la nature et tous ses habitants. Pourtant de retour au village, il n’en faisait jamais mention.
Il voulait tellement ressembler aux autres garçons de son age.
m'banta - 2 -
En effet, ce n’était pas un garçon vraiment ordinaire, enfin ordinaire comme les autres garçons de sa tribu. Eux, ils étaient forts, agiles et vindicatifs, semblables à leurs ancêtres guerriers à qui ils voulaient ressembler. Ils ne pensaient qu’à se battre et faire le beau devant les filles de leur âge. Il faut dire à leur décharge que ces demoiselles étaient fort jolie et affriolantes, revêtues qu’elles étaient de leur tenue traditionnelle : quelques colliers de perles autour du cou et quelques bracelets aux poignets et aux chevilles. Ah oui ! j’oubliais … un petit pagne autour des reins. C’était un peuple qui aimait la sobriété !
Qui plus est, toutes ces jeunes filles ne restaient pas insensibles aux parades des petits mâles, surtout à cette époque de l’année. En effet, à la prochaine lune allait se dérouler une grande cérémonie, le rituel du passage, le Miloudji, où les garçons devront montrer leur courage et leur bravoure au cours d’un certain nombre d’épreuves parfois rudes et cruelles. Là était bien le problème de m’banta. Il était petit et frêle pour son âge. Dans les jeux collectifs auxquels il s’obligeait à participer, il tenait bien malgré lui plus souvent le rôle du chassé que du chasseur pour finir immanquablement le nez dans la poussière, au grand dam de ses parents.
Il redoutait donc particulièrement le Miloudji. Non pas qu’il manque de courage et de bravoure comme les autres. Il savait que ces qualités coulaient dans son sang comme dans le sang de ses camarades, le sang des anciens, le sang de son peuple. Il redoutait en fait d’être trahi par son corps, de décevoir son père, d’être chassé du village, d’être coupé de ses racines.
M’banta n’était donc pas très apprécié. Et pas seulement à cause de sa petite taille. Il était un peu à part des autres, pour tout dire, il était, sinon craint, du moins … évité. Oui, c’est ça, évité ! Les autres avaient une certaine gêne à son égard, une sorte de non-dit qui freinait, qui gâchait toute relation d’amitié qu’il aurait tant voulu avoir.
Il avait en quelque sorte un statut à part au sein de la tribu. Cela avait commencé dès le jour de sa naissance…
m'banta - 3 -
Ce jour là, peu avant sa naissance, le ciel se couvrit de nuages noirs fort menaçant. Les gens du village étaient inquiets et ravis en même temps. Personne n’attendait ces sombres nuées et le sorcier lui-même n’avait fait aucune incantation particulière. Il faut dire qu’ils vivaient dans un pays où la pluie n’était pas de mise. La nuit arriva encore plus rapidement qu’à l’ordinaire. Chacun sentait bien qu’une sourde menace planait sur la savane. Les animaux étaient nerveux et inquiets, la chaleur demeurait, présente, lourde et oppressante.
La maman, ressentant les premières douleurs de la délivrance, était trempée de sueur. Deux vieilles femmes à ses cotés, tout en lui passant sur le visage une vague étoffe imbibée d’eau tiède, marmonnaient doucement des paroles d’apaisement autant destinées à la future mère qu’aux dieux pour en implorer la clémence Le père, suivant la coutume était avec les autres hommes de la tribu, en pleine palabre, dans la case du chef.
L’attente était longue, les hommes ne disaient plus rien. Il n’y avait pas le moindre souffle de vent. Les feuilles, les bêtes, tous retenaient leur respiration. Pas un bruit, à cent mètres à la ronde, ne venait troubler le silence à part les faibles gémissements de la jeune parturiente
Enfin au beau milieu de la nuit, le cri tant attendu jaillit de la bouche du nouveau-né. La pression se relâcha et chacun put respirer à fond. Oh, pas pour longtemps. Les cieux, à l’annonce du signal de la naissance, se déchaînèrent dans un fracas épouvantable faisant fuser en tous sens des éclairs lumineux. Un véritable feu d’artifice illuminait le village comme en plein jour. Chacun courbait l’échine, les dieux étaient en colère, pourtant point de crainte, seulement de la surprise parmi les villageois.
La pluie commença à tomber, lente, régulière et méthodique. Le feu du ciel tenta encore un combat d’arrière garde mais abdiqua rapidement s’enfuyant vers l’est en faisant résonner son courroux longtemps encore dans la plaine. La pluie dura deux jours et trois nuits. A l’aube du troisième jour, elle avait disparu, laissant place à un soleil radieux et à une nature luxuriante.
On sortit l’enfant, le présenta à l’astre brillant et on le nomma m’banta ce qui voulait dire, « la pluie qui chasse le feu » ou bien « le remède qui calme la douleur »
m'banta - 4 -
M’banta avait d’autres particularités. Sa voix bien-sûr qui faisait l’admiration de tout le village et qu’il savait merveilleusement mettre en valeur. Il était devenu le chanteur officiel des cérémonies et il y avait beaucoup de cérémonies parce qu’il y avait beaucoup de dieux à honorer, invoquer ou supplier suivant les circonstances. Pourtant c’est quand il était seul qu’il chantait le mieux, qu’il communiait vraiment avec la nature e, t pensait-il, avec les dieux.
Mais ce qui le différenciait le plus des autres était son don de guérisseur. Les gens du village racontent qu’à sa naissance il a volé la voix d’un dieu, celui que le sorcier invoque quand il y a un malade, le dieu mam’bahah. Et le sorcier du village n’aime pas du tout quand on va chercher m’banta pour un bébé brûlant de fièvre ou une vieille qui tremble. Non, décidément il n’aime pas ! C’est lui qui sait parler aux dieux, faire les sacrifices et les danse rituelles. C’est à lui que son père a transmis le secret des plantes qui guérissent. Il l’avait clairement fait savoir au chef du village, à tout le monde d’ailleurs : les dieux veulent que l’on respecte la tradition et la tradition c’est lui : Gare à ceux qui s’en détourneront, la colère de dieux sera terrible pour eux et pour tout le village.
M’banta le savait bien, le sorcier voulait au mieux le chasser du village, au pire le voir disparaître. Et c’est pour cette raison qu’il était malheureux au village. Pourtant son don était réel et tout le monde le savait. Cela avait commencé peu de temps après sa naissance quand sa mère l’avait installé près du bébé de sa cousine. Cette dernière craignait pour la vie de son petit qui était pris de convulsions et n’acceptait plus de nourriture depuis deux jours. Laissant son enfant entre de bonnes mains, elle courut donc chercher le sorcier. Au retour de celui-ci l’enfant reposait calmement à coté d’un m’banta vagissant joyeusement. C’avait été le début du cauchemar, pour le sorcier qui sentait bien que la concurrence serait rude face à ce maudit avorton qui en plus allait devenir le chanteur du village.
m'banta - 5 -
M’banta comme les autres craignait la colère du sorcier. Pourtant il ne se sentait pas le droit de refuser son aide à qui venait lui demander. Cela se faisait toujours la nuit, en cachette, afin d’éviter les foudres du sorcier. M’banta procédait toujours de la même manière. Il prenait dans ses bras le ou la malade et lui chantait son étrange complainte, ces mots dont lui-même ignorait la signification. Au bout d’une heure en général la maladie disparaissait laissant le malade pratiquement inconscient et sans force pendant deux ou trois jours.
Si m’banta redoutait le Miloudji, la cérémonie du passage, il n’en appréciait pas moins cette période de sa vie où, il le savait, il allait perdre sa si belle voix, redevenir enfin un garçon comme les autres. Pourtant il l’aimait, sa voix et depuis quelques temps, sachant l’issue prochaine, il emmenait son troupeau de plus en plus loin afin de pouvoir chanter tout son soul sans déranger les gens du village et son redoutable sorcier. Il ne dérangeait personne sur terre bien au contraire. Tous les animaux alentour tombaient sous le charme de sa voix mélodieuse, pour un peu on aurait dit qu’ils venaient exprès pour l’écouter. Quand il chantait ainsi, le lion et la gazelle pouvaient se côtoyer, le « charme » faisait son effet.
Il maîtrisait son chant comme il ne l’avait jamais fait, se grisant à l’infini des trilles qu’il lançait vers le ciel, des chants, psalmodies, complaintes et mélodies qu’il enchaînait, reprenait, inventait sans presque jamais reprendre son souffle. Et plus les jours passaient maintenant, plus il avait cette envie irrépressible de chanter sa joie de vivre pour lui tout seul, pour tous ces animaux qui l’entouraient, qui parfois lui donnait la réplique.
Pour lui tout seul ? Non, pas tout à fait. Il y avait là certains, que cette débauche de beauté et de perfection exaspérait au plus haut point.
m'banta - 6 -
Le ciel était chargé la veille de l’épreuve. Pas seulement de nuages. Pour chasser l’appréhension qu’il sentait monter en lui, m’banta se déchaînait en lançant au ciel ses plus beaux chants de sa voix la plus belle, la plus perçante, comme un défi à lui-même, à la nature, aux dieux pourquoi pas. Et ils étaient là, les bougres ! passablement énervés d’entendre ce petit mortel les défier de son chant si pur et si parfait
« Hé quoi ! Va-t-on laisser s’installer sur terre un tel degré de perfection ? Sa voix, à n’en pas douter est une bravade permanente envers tous nos collègues. Il faut nous réunir, courir sur l’olympe, survoler Rome et les pyramides. »
Les dieux de la savane se dispersèrent dans les cieux rameutant leurs célèbres collègues chantés par les plus grands poètes humains. Tous répondirent à l’appel, voulant voir le petit prodige et tromper pour un temps leur ennui car il faut bien avouer que l’éternité leur laissait pas mal de temps morts à eux, les immortels ! Il y avait là les plus grands Zeus et Jupiter, Apollon, le dieu des Arts, Vulcain, dieu du feu et bien d’autres encore, obscurs ou mystérieux, des déesses à vous couper le souffle, certains au nom imprononçable, des, qui n’avaient jamais mis les pieds sur ces terres brûlantes.
Le jour reculait doucement devant tant de Gloires. M’banta, indifférent à ce grand remue-ménage ne se décidait pas à rentrer n’arrivant pas à combler son indicible besoin de chanter. Malgré l’heure tardive, le ciel en son délire continuait à flamboyer. Là-bas, au couchant, se produisait des choses improbables : des clartés tourmentées, des fulgurances de couleurs, des moutonnements enchantés.
m'banta - 7 -
Alors les dieux se déchaînèrent, volant à l’enfant son chant merveilleux. Vulcain fut à son affaire et souffla sur l’onde magique qui montait au ciel un feu à l’ardeur si puissante que le chant, dans son brasier, se transforma en cristal. Une gigantesque gemme emprisonnait, cristallisait progressivement toute la perfection, la beauté et l’amour que l’enfant chanteur faisait jaillir de son cœur au travers de sa voix majestueuse. Mais le cristal était si pur et si limpide qu’il effaçait par son éclat la présence de tous ces dieux, réduits à l’état de faire-valoir.
Dans un dernier sursaut de colère ils rassemblèrent toute leur énergie pour précipiter au plus profond de cette terre africaine, ce que bien plus tard les humains appelleront le plus fameux gisement de diamants.
M’banta, quant à lui s’en retourna parmi ses frères, l’esprit en paix. Il devint un homme et ses parents furent heureux. Il ne fut cependant jamais comme les autres, car si les dieux lui avaient volé sa voix, il avait gardé pour lui son âme et la force qui l’habitait.
Songe, belle demoiselle, en portant ce beau bijou, qu’un enfant, ingénument, par son chant si charmant, a forcé les dieux devenus déments à créer ce diamant. Admire sous toutes ses facettes le plus bel élément que la terre ait conçu avec l’aide des dieux. Entend le chant de la beauté qui jaillit au cœur du cristal.
C’est le chant des enfants. Il vibre dans nos cœurs.